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L'espacement des temps |
Une jeune femme reconstitue sa journée. Elle parle du chômage; de son dernier travail, temporaire et précaire; de ses recherches d’emploi infructueuses; des heures passées dans le labyrinthe de l’administration; mais aussi de ses projets de cinéaste développés parallèlement durant le peu de temps qu’il lui reste. Elle compte les "menus détails" de son quotidien. Son récit décrit le temps qui rythme ses jours (le temps des horloges), l’organisation horaire stricte et aliénante de ce quotidien. La journée de Vérène, chômeuse (Florence Cornu, 1979) constitue le point de départ de la série de projections l’espacement des temps. Ce film court est une des rares productions vidéo aux préoccupations documentaires et sociales de la période des années 1970-1980 en Suisse romande à avoir été préservée, trace fragile d’une "vidéo-mémoire" naissante, minoritaire et décentralisée (1). A la fois document sur la condition sociale des personnes sans emploi et essai sur le temps, cette vidéo suggère que ce dernier constitue un enjeu à la fois politique et esthétique. Elle sert à amorcer dans ce programme une réflexion sur la notion de temps historique en relation aux pratiques filmiques, une critique de la conception du temps homogène et vide que la société industrielle et capitaliste a progressivement imposée depuis le XIXe siècle. Le temps (social), tout comme l’espace (social), dominés par les échanges, deviennent le temps et l’espace des marchés. Le quotidien s’établit selon des exigences horaires, selon une organisation répétitive. Il y a cependant "une grande lutte, tantôt visible, tantôt invisible, autour du temps comme autour de l’espace social. Pour leur usage, c’est-à-dire leur emploi. Pour la production éventuelle d’un temps et d’un espace différent" (2). Les arts de l’image en mouvement ont reflété cette lutte. Ils ont en outre contribué à produire activement d’autres temps, des temporalités qui mettent en question l’idée d’un temps quantitatif, toujours égal à lui-même – ainsi que le suggère la remémoration de Vérène, saisie en un long plan-séquence suivi de séries d’images photographiques qui décomposent et condensent différentes situations évoquées en une seule image, suspendant toute illusion de mouvement et de continuité temporelle. L’espacement des temps propose une sélection de films qui donnent une consistance sensible au temps dans sa dimension la plus quotidienne – le quotidien le plus ordinaire (désœuvrement ou travail, qui peut être le travail du film même), ou bouleversé par des événements exceptionnels, déchiré par la guerre. Les films témoignent du souci de prendre date. Ils partagent une attention aux silences, aux moments vacants et aux désirs qui les traversent, aux bagatelles, aux menus détails – à chaque détail. Ils procèdent d’une commune attitude (chère à Walter Benjamin): celle du chroniqueur qui rapporte les événements sans distinguer entre les grands et les petits. "De tout ce qui jamais advint, rien ne doit être considéré comme perdu pour l’histoire" (3). Le quotidien prend corps dans les films, en prise directe avec les sujets filmés ou filmants. Le temps s’écrit. Les tentatives d’écrire l’histoire en train de survenir, ou encore les mise en relation inédites de temporalités hétérogènes, qui ouvrent le quotidien, deviennent ici des invitations à explorer la complexité du temps historique. |
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